Née en Algérie, Katia Belkhodja a immigré au Québec à l’âge de neuf ans. Ses deux premiers romans sont La peau des doigts (XYZ, 2008), traduit en espagnol sous le titre La pied de los dedos (Ediciones de Educacion y cultura, 2010), et La marchande de sable (XYZ, 2015).
Les déterrées, troisième roman qu’elle a publié en 2025 chez Mémoire d’encrier, est une saga familiale algérienne. Elle y convoque en même temps des figures de sa propre histoire et de l’Histoire avec un grand H.
Elle a contribué à des ouvrages collectifs comme Corps (Triptyque, 2018) et Selfies (Le cheval d’août, 2023) ainsi qu’à plusieurs revues littéraires. Récipiendaire du prix Rising stars de l’organisme pancanadien Writers’ trust of Canada, elle enseigne la littérature au collégial et vit à Brossard avec son amoureux, leurs trois fils et son chien.
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J’ai le grand plaisir de vous présenter une Autrice qui porte son pays dans son cœur, on lui doit notamment : La peau des doigts en 2008, La marchande de sable en 2015, et Les déterrées. 2025, elle a publié ses œuvres dans des revues telles que Les Écrits, Le Sabord et Moebius. En 2022, elle a été membre du jury du Prix littéraire du Gouverneur Général. Laissez-moi vous parler de Katia Belkhodja.
Échos littéraires : Bonjour Katia, merci d’avoir accepté notre invitation. Je vais commencer par votre dernier roman : Les Déterrées. En fait, le personnage de Rym qui vivait une tendre enfance avec sa famille en Algérie est bouleversé de devoir quitter son pays natal. Il est question de quatre générations marquées par la colonisation, la résistance et le déracinement. Les déterrées est avant tout une histoire de transmission et de résistance. Comment vous est venue l’idée d’écrire ce roman, si poignant ?
Katia Belkhodja : J’écris depuis longtemps, depuis toujours à vrai dire : je dictais des poèmes – pas excellents – à mon grand-père quand j’avais quatre ans. Ma mère m’a beaucoup poussée, petite et adolescente, à explorer ça. Elle m’a demandé quand j’avais environ quatorze ans, très sérieuse, pourquoi je n’écrivais pas notre histoire. Évidemment, à quatorze ans, je n’y comprenais pas grand-chose à notre histoire : je la voyais confusément, mais je sentais que c’était trop gros pour moi. Notre histoire, comme celle de toutes les familles algériennes, est intimement liée à la grande Histoire, celle de l’Algérie et de la France ensemble, celle de l’Algérie toute seule, celle de tous les déplacements forcés et volontaires de notre peuple comme d’autres peuples. Et c’est avec la pandémie, le couvre-feu, ce que ça a rappelé à mon corps, avec les enfants, ce que j’ai compris de l’histoire des miennes et des miens, quand ils sont nés, mes fils, que j’ai réussi à la tenir dans mes bras. Il fallait un regard assez large, que je n’avais pas à quatorze ans. Mais l’histoire avait déjà attendu des siècles déjà, elle a pu tenir deux décennies encore avant que je l’écrive.
Échos littéraires : On dit de vos livres qu’ils sont remplis d’intelligence, d’amour et de violence dans une langue sans superlatif. L’autrice québécoise et sociologue Caroline Dawson, dira même à propos de La marchande de sable, que c’est un des écrits les plus poétiques de la littérature québécoise récente. Comment percevez-vous ces commentaires ?
Katia Belkhodja : Je pourrais dire que ça me fait plaisir, mais c’est plus fort que ça : les commentaires de Caroline, en particulier, qui était une amie, que nous avons perdue depuis un an déjà, j’y retourne quand je doute. Quand j’ai l’impression que j’aurais dû faire de la poterie, je relis ça et ce qu’elle m’a écrit quand elle m’a dédicacé Ce qui est tu. Ça me fait aussi plaisir que ça parle de La marchande de sable, mon troisième roman est le plus abouti, les deux autres étaient plus confidentiels, mais le fait d’être vue dans l’entièreté de son œuvre, ça fait un petit velours. Honnêtement, en général, l’écriture est tellement solitaire que, pour moi, c’est surtout un immense soulagement quand j’ai ce genre de commentaires, je me dis : ok, je n’étais pas complètement à côté de la plaque.
Échos littéraires : Pour Les déterrées, c’est plus un devoir de mémoire, de justice. Il fallait l’écrire ce livre, déterrer les racines de ces tribus qui ont été enfumées, ces gens déplacées, ces morts par milliers. Avec votre roman, ils sont sortis de l’anonymat pour avoir un nom, un visage. Est-ce que vous êtes fière de ce grand travail ?
Katia Belkhodja : Honnêtement, oui. Le passage dans lequel je parle d’Ypres, avec la Kattenstoet et le bataillon de Kabyles qui inaugurent le chlore utilisé comme armes chimiques, c’est un passage qui m’a pris des heures de recherche, le plus long 750 mots que j’ai jamais écrits. Ce travail-là était vraiment important pour moi, alors savoir que leurs noms résonnent dans les têtes de celleux qui viennent après, c’est immense pour moi. Et c’est aussi important pour l’avenir, pour ouvrir le champ des possibles, pour dire à nos enfants – je veux dire les enfants de l’humanité en général : non, nous n’avons jamais été résignées, dociles, nous n’avons jamais eu le gène de la soumission, de la disparition. Nous pouvons changer le monde parce que nous l’avons déjà fait et nous serons pleurées parce que nous aussi, nous refuserons de disparaître dans le silence.
Échos littéraires : Vous n’aviez que 9 ans à l’époque, mais vous gardez au fond de vous, ces senteurs, ce thé à la menthe, les arômes du fameux couscous, ces parfums de jeunesse. Est-ce que cela vous manque : la Kabylie, Alger ?
Katia Belkhodja : Bien sûr. J’écris sur ça justement en ce moment : la cuisine. Parce que vous parlez de parfum, mais c’est de l’amour. Ma tante qui fait les sardines, le hamlhlou, les repas préférés de mon père et de ma sœur quand on arrivait à Tlemcen, les gens qui reçoivent, le goût des beignets de ma grand-mère: c’est de l’amour. Cet amour me manque. Le bleu pâle du ciel, qui a une odeur, une chaleur particulière, me manque. Pas en permanence, pas comme au tout début, quand c’était presque physique : le deuil est fait. J’ai peut-être l’immense chance de me sentir un peu chez moi dans plusieurs endroits à la fois, de connaître l’odeur du ciel et d’être apaisée par elle.
Échos littéraires : Vous dites que la migration peut calmer l’angoisse identitaire. Pourquoi à votre avis, petite, vous avez rejeté, cette langue, pourquoi voulait-il vous forcer à l’apprendre pendant les années noires de la guerre civile en Algérie ? Vous parlez de ce besoin d’exorciser votre rapport à la langue arabe, que vous n’avez jamais vraiment réussi à parler. C’est un legs qu’on laisse à ses enfants, a votre fils notamment à votre avis ? Vous le regrettez ?
Katia Belkhodja : Ça m’attriste plus que je le regrette. J’aurais aimé pouvoir l’apprendre à mes trois fils, mais je ne peux pas regretter quelque chose qui était simplement impossible pour la petite fille que j’étais. C’était de l’obligation pragmatique après : on ne savait pas si ou quand on pourrait s’en aller, j’imagine que mon cerveau aurait débloqué éventuellement si j’étais restée en Algérie, il faut bien parler la langue du pays. Ce n’était pas une décision politique quand j’avais sept-huit ans, je me rappelle mes instituteurs et institutrices d’arabe, qui étaient vraiment extraordinaires et en même temps, un peu désespérés parce qu’ils voulaient vraiment m’aider et que j’étais complètement bouchée – alors que dans tout le reste, ça allait très bien. En tant que prof, ça me fait un peu rire aujourd’hui. Ce qui est un peu drôle par contre, c’est que l’arabe commence à faire son apparition dans les classes et les cours d’école, comme un élément du slang d’une jeunesse métissée, alors je me fais dire wesh et je réponds woullah, mes étudiants tombent de leur chaise. Et mes enfants prononcent cheh n’importe comment, je peux au moins leur donner ça : le ha dans leurs gorges. Mais plus sérieusement, je n’haïrai pas trouver des cours ou des bons livres pour qu’ils apprennent un peu la langue.
Échos littéraires : Vous avez été lectrice pour le Prix du récit Radio-Canada pour découvrir de nouvelles voix » et « de jouer un rôle dans leur éclatement au grand jour. Comment vous avez trouvé l’exercice ?
Katia Belkhodja : J’ai adoré. J’adore en général ce genre d’exercices. C’est vraiment un honneur et un bonheur de contribuer à découvrir des voix qu’on ne connaît pas encore et qui sont tellement nécessaires, souvent. Il y en a beaucoup qui n’ont pas l’espace concret, les conditions physiques, pour se déployer, alors si je peux réussir à créer un tout petit peu de cet espace, je me sens à ma place, je sens que je fais ce qui doit être fait. Je pense que c’est pour ça que je suis prof aussi : donner un espace pour déployer des voix, c’est un peu ma raison d’être quand j’y réfléchis.
Échos littéraires : Pour finir, parlons de ce projet, vous y songez ? Faire un arbre généalogique complet de votre famille ?
Katia Belkhodja : Ouf. J’en ai un, fait par mon grand-père, mais il s’arrête début 2000. Pour tout dire, j’ai rencontré des cousines pour la première fois à mon lancement, je pense que ce foisonnement fait partie de la culture : la communauté n’a pas besoin de traces écrites, de factures consignées des liens que nous entretenons : nous sommes liés par des histoires, depuis longtemps et pour longtemps encore.
Échos littéraires : Merci beaucoup !
Katia Belkhodja : Merci à vous !!!
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