Ancien consul général du Canada à Rio de Janeiro, de 2005 à 2008, diplomate de carrière et membre de l’AmbCanada, Jean-Yves Dionne est l’un des coordonnateurs/Instigateurs du groupe de discussion diplomatique de Montréal (GDDM) à l’Institut des études internationales de Montréal (IEIM/UQAM). Retraité depuis 2009, Jean-Yves Dionne est membre de l’Association AmbCanada et l’un des instigateurs du Groupe de discussion diplomatique de Montréal (GGDM), à l’Institut des études internationales de Montréal (IEIM-UQAM). Jean-Yves Dionne est aussi vice-président d’Auteurs des Laurentides. Originaire de Cacouna, diplômé en droit, sciences politiques et relations industrielles. Il était formateur en relations internationales (université de Moncton) et à l’université du troisième âge (université de Sherbrooke). Il est l’auteur de diverses publications professionnelles. Aussi retraitée d’Affaires mondiales.
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En 1925, le Premier ministre, William Lyon Mackenzie King, et son ami, Oscar Skelton, ont mené ensemble l’édification d’un grand service diplomatique canadien professionnel. Un service bâti à l’image de nos valeurs, un service constitué d’agents polyvalents, éduqués et composés de futurs fonctionnaires sélectionnés par un concours national annuel et distinct, lancé dans toutes les universités du pays. Mais voilà, à partir de l’année 2000, il semble que le ministère ait été négligé et délaissé.
Échos littéraires : Jean-Yves Dionne, bonjour, merci d’avoir accepté notre invitation. Nous allons, en votre compagnie, parler d’un dossier qui nous tient beaucoup à cœur, en tant que citoyen, nos services diplomatiques et nos politiques étrangères. Alors que le Canada était particulièrement performant, il semble que nous ayons perdu pas mal de plume depuis quelques années. Beaucoup évoquent les coupes budgétaires en rafales et les exercices de rationalisation. Est-ce uniquement une question de budget et d’argent ?
Jean-Yves Dionne : Le tour à vide d’affaires mondiales Canada (AMC) est-il seulement le fait des coupes budgétaires et de ses multiples rationalisations ? Le ministère fonctionne depuis plusieurs années sans réelle politique étrangère et cela n’est pas normal. Cela laisse les politiciens réagir seulement aux événements à courte vue sans planifier en profondeur la vision du pays dans ses relations étrangères. Cela a été dit maintes fois. Il y a eu quelques énoncés de politique étrangère (p. ex la politique canadienne envers l’Asie), mais peu de réflexion profonde sur l’ensemble du positionnement stratégique du Canada dans le monde. De plus, ce ministère a toujours été celui du premier ministre (PM). Un PM peu intéressé aux affaires internationales laisse son ministère fonctionner à vue – la tradition est que le PM s’implique et utilise les outils de ce ministère. Je ne me ferai pas le juge des PM et précédents ministres depuis mon entrée dans le Service extérieur canadien (1976). Ceux qui ont bien performé comme ministres aux Affaires étrangères ont réussi à rendre ce ministère essentiel et à donner le ton au gouvernement en matière de politique étrangère: Pearson (canal de Suez), Clark (Apartheid), Axworthy (mines anti personnelles), etc. Les agents du ministère se sont donnés à fond pour atteindre les objectifs du gouvernement.
Au niveau de la bureaucratie fédérale, il y a eu une difficile compétition pour des mandats internationaux entre les ministères à vocation domestique : plusieurs de ces ministères de la Fonction publique sont très attachés à cette prérogative que leur permettent d’entretenir des mandats, des réseaux à l’étranger et du personnel (l’Agriculture, Santé, Environnement, Industrie, etc ) au nom de la spécialité de leur métier. Tout cela s’ajoute aux postes du personnel des Affaires étrangères et aux postes des diplomates généralistes. Il est temps de rationaliser les tâches dans une période ou la récession est au coin de la route. Cette manière de faire a créé un vaste réservoir de fonctionnaires sans expérience du véritable travail de terrain qui se sont mis à vouloir entrer latéralement (par détachement provisoire étendu à vie) au ministère dans des postes cadres, bloquant ainsi les carrières des professionnels recrutés par concours annuel national et qui ont dédié leur vie à ce métier (j’en suis). Tous ces cadres du service domestique se sont mis en compétition avec les professionnels dédiés d’AMC et leur ont coupé de facto les opportunités de promotion à de postes supérieurs à l’étranger (avec beaucoup moins d’expérience de terrain). Cela a eu pour effet de décourager les professionnels du ministère qui attendaient de l’avancement et en revanche offrir sur un plateau d’argent à d’autres fonctionnaires domestiques qui, arrivés à des niveaux de cadre, ont obtenu des postes supérieurs à l’étranger sans réelle expérience du terrain et une connaissance intégrée du travail du diplomate. Ce fut un fiasco au niveau de la motivation de nos diplomates de carrière. (une idée sans doute inspirée des nominations diplomatiques des ambassadeurs américains et donateurs des partis politiques). Il ne s’agit pas ici de contester la valeur des employés venant d’ailleurs et la possibilité d’obtenir une expérience sans bousiller pour autant la carrière de ceux qui ont trimé dur dans des postes difficiles et dû apprendre des langues étrangères pour arriver au final à se faire bloquer un avancement de carrière par une personne inapte à ce genre de métier sur le terrain. Depuis l’intégration de la fonction Aide au développement (ACDI) en 2013 au sein du ministère, puis la nomination de Mélanie Joly ( document de réflexion ci-dessous en 2023), une réflexion a été complétée par une étude du comité sénatorial dirigé par un ex-cadre supérieur du ministère (Peter Boehm) : un travail d’évaluation des mandats et du personnel du ministère a été entrepris sérieusement et devrait aboutir vers une amélioration des pratiques de recrutement, de la gestion des carrières des agents et de la fluidité des mandats du ministère. C’est quand même un gros navire amiral de 14,000 fonctionnaires à diriger et 178 missions à l’étranger.
Études officielles :
https://sencanada.ca/content/sen/committee/441/AEFA/Reports/AEFA_ForeignServiceReport_Final_F.pdf
Échos littéraires : J’ai toujours entendu dire que notre réseau international d’ambassades, de consulats et de missions canadiennes à l’étranger était le plus envié et le plus reconnu pour son efficacité et donnait même l’exemple à plusieurs nations du monde. Pensez-vous que nous avons perdu cette place si envieuse dans l’échiquier mondial ?
Jean-Yves Dionne : Le réseau mis en place par notre pays est utile et pertinent. Ce sont nos yeux et nos oreilles sur le monde. Les manières de travailler doivent évoluer avec les technologies, mais pas que…. Les aptitudes de bases du diplomate performant doivent demeurer dans la sélection de nos professionnels (jugement, esprit curieux, quotient émotionnel élevé, travail en équipe, gestion de la diversité, désir de performance, etc.). Nous sommes une nation moyenne avec une puissance militaire réduite. Que pouvons-nous faire ? Travailler en partenariat avec d’autres nations qui partagent les mêmes valeurs que les nôtres. Notre pays doit se réinventer pour continuer à prospérer comme puissance et à prendre sa place comme nation souveraine dans le monde. Nous avons trop longtemps compté sur la protection des Américains et nous nous sommes laissé bercer en nous donnant l’illusion que nous étions presque des membres de la même famille. Le Canada doit restreindre ses priorités aux domaines qui assurent sa prospérité, sa souveraineté et ses valeurs uniques. Le Canada doit être multilatéraliste et se composer un réseau solide de pays amis de son niveau de puissance pour agir. La plupart sont des pays alliés et membres de l’OTAN. Il y a aussi les démocraties de l’Asie (Japon, Australie, Corée du Sud, etc.), des pays qui comptent sur notre commerce et nos valeurs. Au niveau multilatéral, le Canada doit retrouver sa capacité d’intervention en collaboration avec des pays qui partagent ses valeurs démocratiques à la défense de la sécurité humaine (par exemple l’aide aux mouvements de réfugiés) et plaider pour le respect des normes internationales, l’aide aux nations les moins favorisés, etc. Le Canada doit prendre en main sa souveraineté économique et militaire et se donner un rôle de joueurs d’équipe sérieux dans le maintien des avancées multilatérales et du renforcement des institutions internationales mises à mal actuellement dans un climat délétère d’ultra conservatisme. (Diplomates en péril p.119 à 133)
Un dernier point. Ne pas oublier que notre pays doit se réinventer économiquement compte tenu de l’abandon (voir la trahison) des États-Unis envers son plus fidèle allié. Je ne sais pas combien de temps cela durera, mais nous sommes dans une impasse qui cause des incertitudes économiques importantes, puisque 75 % de nos exportations sont à risque et doivent trouver de nouveaux débouchés si la prochaine négociation de l’ACEUM tourne mal. La renégociation de ce traité en 2026 marquera ce passage vers l’inconnu – il est dit que les deux tiers des Américains sont contre les tarifs imposés au Canada. Cela n’empêche pas le gouvernement Trump de sévir et de nous causer beaucoup de turbulences (Trump a dit que notre pays deviendrait le 51e État par la force économique – cela irait de soi pour lui de rejeter toute proposition d’accord commercial pour nous mettre à genoux). Il ne le fera pas si les lobbies des gens d’affaires des deux côtés de la frontière s’unissent pour contre carrer ses plans. Pour accomplir cela, il faut des diplomates à la manœuvre sur le terrain et convaincre nos vis-à-vis politique et économique de nos engagements et des avantages d’être partenaires avec le Canada tout en respectant sa souveraineté.
Échos littéraires : Vous appelez de vos vœux pour un changement, allant même jusqu’à parler de refondation de nos services. Avons-nous actuellement des marges de manœuvre avec des défis de plus en plus colossales, notamment avec notre voisin du sud ?
Jean-Yves Dionne : Nos difficultés actuelles permettent de nous réinventer. Doté d’une grande ambassade à Washington ( + de mille employés), 14 consulats au pouvoir décentralisé à travers le pays – c’est notre plus grande exposition dans un seul pays et probablement la présence qu’aucun autre pays ne bénéficie aux É.-U. Et pourquoi n’avons-nous pas réussi à prévoir cette attaque en règle de MAGA contre nous ? Qu’avons-nous fait où manqué pour nous retrouver ainsi ? Nous ne pouvons pas lâcher les É.-U., car nous y avons trop investi et cela nous a servi durant des années. Aujourd’hui, il faut se réinventer et aller chercher des partenaires économiques ailleurs dans le monde. Nous les avons ignorés en nous disant que ce serait plus facile et rentable de ne faire des affaires qu’avec nos partenaires de toujours au sud de la frontière. Il ne faut pas relâcher la garde et convaincre les politiciens trumpistes qu’ils se trompent et que nous pouvons demeurer des alliés fiables et des partenaires économiques complémentaires à leurs besoins dans le respect de notre souveraineté politique, puisque les É.-U. sont de loin les premiers investisseurs au Canada. Les prochaines négociations de l’ACEUM nous apprendront beaucoup sur notre relation future avec les É-U. Entre-temps, il est nécessaire de se rapprocher de nos alliés naturels et de serrer les coudes avec eux. Nous sommes entrés dans une zone de turbulence inquiétante et existentielle.
Échos littéraires : Y’a-t-il encore des lobbying ou des groupes d’intérêts dans les sphères des affaires étrangères, qui font encore bouger les choses selon leurs bons vouloirs ?
Jean-Yves Dionne : La diversité, qui représente environ 20% de la population canadienne a ses lobbies auprès du gouvernement central – pas nécessairement les Affaires étrangères seulement – cela se passe beaucoup au niveau du personnel politique. Pour ne donner qu’un exemple, lorsque notre ministre Joe Clark a eu l’intelligence de reprocher aux juifs du Canada qu’ils appuyaient les politiques d’Israël sans tenir compte de la Palestine et de leur désir d’un État à eux, le ministère a reçu 6000 lettres de protestations et/ou de demande de démission du ministre. Nous avons créé un groupe de travail pour répondre rapidement à toutes ces lettres et réitéré la position du Canada sur le sujet des deux États dans cette région du monde. Il y aura toujours des groupes ou des personnes qui tenteront d’influencer les politiques de notre État. C’est l’un des mécanismes de la vie en démocratie. Il faut seulement mettre des freins pour éviter les abus du système.
Échos littéraires : La nouvelle politique étrangère prédatrice des États-Unis transforme la géopolitique planétaire à un rythme affolant et le Canada a l’obligation de passer rapidement en mode action. Peut-on encore révolutionner sa stratégie internationale ?
Jean-Yves Dionne : Je crois que cela est en cours depuis la nomination du dernier PM. Monsieur Carney souhaite développer une stratégie de développement national et industriel à travers de grands projets nationaux et la défense pour éviter une dépendance chronique envers les Américains. Cela peut se faire avec d’autres pays alliés de l’OTAN, tel que le programme Re arm Europe, la construction d’avions avec SAAB et des sous-marins avec les Allemands ou les Coréens du sud. Tout cela vise la prospérité et une meilleure cohésion politique nationale (ports, TGV, pipelines énergétiques, lignes électriques, minéraux critiques, etc..). Trump nous a sortis de notre torpeur et il a énergisé un sentiment de fierté nationale au pays – nous ne sommes pas des Américains. Nous sommes un peuple différent, du NORD et bienveillant entre nous tous et fiers d’être ce que nous sommes. De la même manière, le Canada doit s’intéresser comme joueur d’équipe à l’ONU, faire tout ce qu’il peut pour faire respecter les normes internationales et s’y impliquer selon nos propres valeurs. Nous ne sommes pas hégémoniques comme les États-Unis, mais nous sommes habituellement habiles à rassembler les États autour de causes humanitaires ou des droits de la personne. C’est une forme de leadership très utile par les temps qui courent.
Échos littéraires : La nouvelle administration du président Trump s’attaque avec force aux organisations internationales comme l’ONU, l’UNICEF et l’OMC, qu’elle perçoit comme des entraves à la souveraineté américaine. Est-ce que le Canada, qui se tourne, vers l’Europe, notamment pour l’économie, peut-il, encore fléchir la position des États-Unis?
Jean-Yves Dionne : Oui sans doute, tout dépendant de nos efforts et du pouvoir d’influence que nous pouvons investir dans nos causes. Nous avons une partie des outils en place. Il faut utiliser nos efforts auprès des médias américains et de l’appareil politique américain. Puis, un jour (si ce n’est pas déjà le cas ? Comme tous les peuples d’ailleurs, les Américains se fatigueront de leur président et de son gouvernement. Nous verrons peut-être un peuple prêt au changement au cours des prochaines élections de mi-mandat. Elles risquent d’être très différentes de toutes les autres élections jusqu’ici.
Échos littéraires : Pour finir, je vous cite, : Par le passé, le Canada apportait une contribution unique dans le système des relations internationales. Pensez-vous que les choses peuvent s’arranger et connaître un renouveau ?
Jean-Yves Dionne : Oui ! Absolument. Il faut choisir ses causes à notre mesure et selon nos valeurs. Nous avons eu de grands diplomates par le passé et nous avons été au cœur de la création de grandes institutions internationales (Société des nations, ONU, Banque mondiale, FMI, OTAN, organisation des États américains (OEA), Cour pénale internationale et Unesco). Et, j’en passe – pourquoi ne ferions pas davantage si notre gouvernement se rend utile auprès des autres nations dans des domaines où il peut avoir un impact et faire une différence. Nous avons des institutions éducatives parmi les meilleures au monde et des citoyens brillants. Il s’agit de bien utiliser cette matière grise et inculquer dans notre relève que le rêve américain d’autrefois, c’est ici que cela se passe !
Nous sommes le pays de l’avenir de l’Amérique du Nord (pas étonnant que Trump veuille faire de nous le 51e État de son pays).
Échos littéraires : Merci infiniment
Jean-Yves Dionne : C’est un plaisir.
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