Auteure, journaliste et réalisatrice, Dorothée Myriam Kellou collabore régulièrement avec le journal Le Monde, France 24, Arte, France télévisions et France culture. En 2019, elle réalise « A Mansourah, tu nous as séparés » sur la mémoire intime des regroupements de populations pendant la guerre d’Algérie dans le village natal de son père en Kabylie.
Le film a reçu plusieurs prix, dont le prix des droits humains au FIDADOC d’Agadir en 2020 et une étoile de la SCAM en 2021. En 2020, elle réalise une série documentaire sonore pour France culture, « L’Algérie des camps », avec le soutien du prix Albert Londres. En octobre 2023, elle publie son premier livre « Nancy-Kabylie » chez Grasset – « Une réflexion sur la possibilité de transmettre malgré tous les fils rompus par l’exil et la guerre ». Elle enseigne également au niveau universitaire la technique de l’enquête à la première personne, sous la forme de podcasts.
En 2024, elle reçoit le prix Recanati-Kaplan, récompensant des projets culturels exceptionnels dans le monde arabe. Le prix, créé par la Fondation Recanati-Kaplan et la Villa Albertine en partenariat avec l’Institut du monde arabe, comprend notamment une résidence de deux mois aux États-Unis. Récipiendaire de la bourse d’excellence Fulbright, elle est diplômée du master d’études arabes de l’Université de Georgetown à Washington D.C, et de l’Institut d’Études Politiques de Lyon.
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On m’a toujours dit : Respecte la vie de tes aïeux. Tu sais, ils ont fait de leurs mieux avec des moyens dérisoires. C’est ce devoir de mémoire qui anime chacun de nous. Un travail de mémoire, c’est aussi un voyage dans le temps, mais avec des mots.
J’ai depuis compris que ce travail est essentiel pour comprendre et transmettre certains événements marquants de notre passé, qu’ils soient collectifs ou individuels. Pour moi, il s’agit d’un devoir à la fois personnel et sociétal, qui permet de conserver et d’honorer les victimes et de prévenir les répétitions tragiques.
Notre invité a bien choisi ces mots pour parler de son père et de son parcours. L’ouvrage que nous nous apprêtons à découvrir est un sillon absolument essentiel pour qui veut explorer les conséquences de l’exil. Fille d’un réalisateur Kabyle et d’une traductrice française, Dorothée-Myriam Kellou, plonge avec humour dans l’histoire familiale et celle de la guerre d’Algérie.
Son style fluide, ses citations de poèmes, ses questions existentielles sur la double culture, ses doutes et sa soif de rencontres font de Nancy Kabylie un témoignage émouvant et ethnographique pour toutes les générations des deux côtés de la Méditerranée. Un livre passionnant que nous vous conseillons de lire, car vous y apprendrez beaucoup sur la colonisation, la guerre, la double nationalité et le cheminement de l’auteure.
Échos Littéraires : Bonjour Dorothée-Myriam Kellou, merci d’avoir accepté notre invitation. Ce roman est un travail de mémoire bouleversant émotionnellement. Un récit construit comme un documentaire. Finalement, vous êtes partie à la conquête de la « partie manquante » de l’histoire familiale, perdue quelque part en pays berbère. Qu’est-ce que cela vous fait d’écrire sur la mémoire de votre père ?
Dorothée-Myriam Kellou : C’est une responsabilité d’écrire sur la mémoire et davantage encore sur la mémoire de proches. L’amour filial qui nous lie mon père et moi nous a permis de construire une confiance suffisante pour que récits et questions puissent se poser en toute liberté. Vous parlez de conquête. Le mot est juste. Ce fut une véritable conquête, contre la peur aussi, la peur chez lui de se révéler dans toute sa complexité, failles comprises, et moi de recevoir ces récits, si lourds et violents à porter.
Échos Littéraires : J’ai lu que pendant longtemps, vous ne connaissiez pas beaucoup de choses sur l’Algérie, un pays, vous dites qui rime trop souvent avec nostalgie et oubli. Pourquoi et comment est venu cet engouement et intérêt ?
Dorothée-Myriam Kellou : Je raconte dans mon livre les énigmes que j’ai dû déchiffrer et qui m’ont ramenée à l’Algérie, au pays de mon père, aux affres de la souffrance coloniale. Je connaissais l’Algérie à travers la mythologie et le fantasme, mais pas dans sa réalité, belle et crue.
Échos Littéraires : J’ai beaucoup aimé le mot Nostalgérie. Pour votre père, cela devait être lancinant. Vous êtes de mère française et de père algérien, en somme, un mélange de deux cultures et vous vous présentez d’ailleurs comme « française-algérienne » ou bien « Française trait d’union », est ce que cela fut un poids à porter ?
Dorothée-Myriam Kellou : L’écrivain Gaël Faye dit très justement dans une interview publiée aujourd’hui dans le Monde sur sa double appartenance France/Rwanda : « Le déni de responsabilité de la France dans le drame qu’a subi mon autre pays jusqu’à Emmanuel Macron a longtemps provoqué en moi un tiraillement, une véritable souffrance. Voir le président de la République se déplacer et reconnaître une responsabilité a calmé une conflictualité intérieure. » Je trouve ses mots très justes. L’incapacité qu’a la France à penser et à reconnaître véritablement sa responsabilité dans l’histoire coloniale et ses conséquences nourrit une forme de malaise chez les descendants de cette histoire. Aujourd’hui, j’ai trouvé un apaisement et un équilibre entre mes deux pays, mais la libération n’est jamais qu’individuelle. Elle doit être collective.
Échos Littéraires : dans le livre, Nancy-Kabylie, vous vous êtes penché sur Frantz Fanon, psychiatre martiniquais et figure majeure de la lutte contre le colonialisme, ou encore sur l’intellectuel américano-palestinien Edward Saïd, penseur de l’orientalisme. Est-ce que cette quête est aussi venue par le fait qu’a l’école, nombre de camarades, vous faisait remarquer ce vide du côté, de la culture de votre père ?
Dorothée-Myriam Kellou : Oui, je raconte dans un chapitre la conscience d’un vide dans la transmission. La psychanalyste Karima Lazali raconte très bien dans son livre, le trauma colonial, le sentiment d’effacement chez nombre d’héritiers de cette histoire. J’aime nous appeler les héritiers des silences. Les silences parlent en nous, on ne peut les faire indéfiniment. D’où l’importance de ce travail d’anamnèse, recouvrer la mémoire, non pour s’y enfermer, mais pour se libérer.
Échos Littéraires : je ne peux m’empêcher de vous parler de l’état des relations bilatérales entre la France et l’Algérie, cette histoire particulière, qui traverse bien souvent des remous. Pensez-vous que les relations s’apaiseront un jour et comment ?
Dorothée-Myriam Kellou : L’ancien ambassadeur de France en Algérie Xavier Driancourt est aujourd’hui à la retraite et sort de sa réserve pour accabler l’Algérie, vieille obsession d’une partie de droite et de l’extrême-droite qui n’ont pas digéré la perte de l’empire colonial. Il serait temps de poser les véritables questions historiques et politiques pour cesser de tomber dans des discours qui peuvent paraître infantiles et sont émotionnellement abusifs pour nous tous. Nous espérons un apaisement, mais pas dans la négation des droits fondamentaux à la liberté, à l’égalité et à la dignité.
Échos Littéraires: Merci beaucoup !
Dorothée-Myriam Kellou:C’est un plaisir
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