Serge Lamothe, né à Québec en 1963, est un écrivain, poète et dramaturge canadien-français. Titulaire d’une maîtrise en littérature française de l’Université Laval, il a exercé divers métiers avant de se consacrer pleinement à l’écriture. Il a acquis la nationalité française en 2003.Depuis 1998, il publie romans, nouvelles et poésie, explorant des thématiques telles que l’humanité, le sens de la condition humaine et l’imaginaire collectif.
Parmi ses œuvres notables figurent Les Baldwin (2004), une réflexion sur la mémoire et l’histoire, Tarquimpol (2007), un roman écrit à la deuxième personne du singulier, et Oshima (2019), un récit de science-fiction sur un monde en crise.En parallèle, Serge Lamothe est actif dans le milieu théâtral, opératique et circassien.
Il a collaboré avec le metteur en scène François Girard, notamment pour les productions de Parsifal de Wagner à l’Opéra national de Lyon et au Metropolitan Opera de New York, ainsi que pour des spectacles du Cirque du Soleil tels que Zed et Zarkana.Son œuvre lui a valu plusieurs distinctions, dont le Prix des libraires du Québec pour Tarquimpol en 2008, le Prix des Horizons imaginaires pour Oshima en 2020, ainsi que des prix pour ses contributions à l’opéra
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Le livre que nous proposons aujourd’hui dans : Un livre, un auteur, est un beau témoignage de ces instants de vie qui sont, tout sauf simples à expliquer. Vous est-il déjà arrivé de porter une réflexion sur le destin, sur les choses qu’on croit contrôler et sur celles qu’on ne contrôle pas du tout ?
Mektoub est un roman paru en 2016, publié aux éditions Alto. Il a été finaliste au Prix littéraire des collégiens en 2017. Ce livre pose, ma foi, de bien bonnes questions. Notre destinée, échappe-t-elle à notre volonté ou disposons-nous d’un libre-arbitre qui nous permet de l’infléchir ? J’ai beaucoup aimé le commentaire du journal le Devoir, qui évoque une histoire d’amour impossible, un éloge de l’imaginaire, une variation sur le thème de la liberté et du destin.
Échos littéraires : Serge Lamothe, bonjour. Merci d’avoir accepté notre invitation – Bienvenu dans Échos Littéraires.
Serge Lamothe: Bonjour.
Échos littéraires : Le mot mektoub renvoie à la destinée, ou plus explicitement à la volonté divine. Pourquoi avoir choisi ce mot, au lieu simplement de mettre le mot destin ?
Serge Lamothe: Le titre de travail de Mektoub a longtemps été Zodiaque en raison du fait que le premier narrateur se présente comme un astrologue. Comme vous le savez, l’expression mektoub est très usitée dans les cultures arabes et signifie littéralement : c’était écrit. Dans le film Laurence d’Arabie, qui met en vedette Peter O’Toole et Omar Sharif, ce dernier sert deux fois cette réplique au personnage éponyme : la première, lorsqu’il retourne dans le désert pour sauver la vie d’un de ses hommes au péril de la sienne (Sharif lui signifie ainsi que c’est peine perdue et que l’homme va fatalement mourir.) ; et la seconde, lorsque les circonstances le contraignent à exécuter de ses propres mains l’homme qu’il a sauvé peu de temps avant.
J’ai donc choisi Mektoub comme titre parce que cette expression me semble porteuse d’une réflexion que le mot destin, à lui seul, n’évoquerait pas avec autant de force et de profondeur. Tout se joue dans notre capacité à remettre en cause les déterminismes qui nous semblent imparables et à préférer les alternatives qui nous libèrent à celles qui font de nous des esclaves.
Ces thèmes m’interpellent depuis plusieurs décennies. Les questions liées à la fatalité et au libre-arbitre m’ont toujours préoccupé. Il m’a fallu longtemps avant de trouver le moyen de les aborder dans l’un de mes romans. Elles sont au cœur des questionnements du narrateur et de la narratrice de Mektoub et peuvent être formulées simplement : sommes-nous maîtres de notre destin, jouissons-nous d’un libre-arbitre qui nous permet de l’infléchir ou sommes-nous plutôt soumis à la fatalité, c’est-à-dire à un destin déjà écrit auquel il faut nous résigner et nous soumettre ? Bien sûr, le roman n’offre pas de réponse à ces questions que personne ne peut prétendre résoudre de manière définitive. Mektoub propose néanmoins certaines pistes de réflexion et quelques alternatives aux explications simplistes sur lesquelles sont fondées nombre de religions et d’idéologies. Le roman se penche sur ces questions de manière ludique et les aborde sur les plans individuels et collectifs. J’y interroge donc non seulement la possibilité pour les individus de déterminer leur destin, mais aussi les chances que nous avons, collectivement, de modifier le cours de l’Histoire. Ce questionnement me paraît essentiel à l’heure où le réchauffement climatique, la prolifération des armes nucléaires et tant d’autres fléaux menacent la survie de l’humanité.
Échos littéraires : Nous redécouvrons avec joie, grâce à vous, certains moments forts des Jeux olympiques de 1976 à Montréal, notamment le triomphe de Nadia Comaneci. La trame se joue donc durant cette célébration sportive. Sept accidents se sont produits au même carrefour de la ville, et seul le dernier a fait une victime : une femme. Le narrateur est persuadé que c’est la femme anonyme avec laquelle il avait rendez-vous ce soir-là et qui ne s’est jamais présentée. Pourquoi ce sentiment de vouloir expliquer des choses par une envie de taire d’autres choses ?
Serge Lamothe: Je ne suis pas certain de comprendre votre question, mais je dirais que dans ce type de roman (et en littérature, de manière générale) l’essentiel est bien souvent ce qu’il faut justement taire ! Il me semble, en effet, que le sens d’un récit se révèle surtout en creux. C’est en vain que l’on cherche à tout expliquer et c’est l’erreur que commettent plusieurs écrivains : le résultat est forcément ennuyeux du simple fait que le lecteur se retrouve privé du plaisir d’imaginer ce qui ne lui est pas explicitement précisé. Un lecteur est toujours fier de résoudre une énigme en se fiant à ses propres suppositions et déductions. Cela participe du plaisir de la lecture et les écrivains (qui sont avant tout des lecteurs, eux aussi) savent bien qu’ils ont intérêt à ne pas l’oublier !
Dans Mektoub, il est vrai que la situation initiale suscite l’incrédulité, mais plus on avance dans le roman, plus les choses se mettent en place et les événements narrés acquièrent de plus en plus de crédibilité.
Échos littéraires : Croyez-vous à cette vision du monde où plusieurs parallèles peuvent coexister ?
Serge Lamothe: Le narrateur et la narratrice de Mektoub éprouvent une véritable connexion intime, émotive. Ils la ressentent au-delà des contingences ordinaires et j’oserais dire : au-delà du vraisemblable. Ils ont tous deux, sans se connaître, le sentiment d’être liés par le destin malgré le fait qu’ils ne parviennent jamais à se rencontrer véritablement. Cela se manifeste de plusieurs façons dans le roman et plusieurs scènes sont construites autour de ce thème ; mais je laisse aux lecteurs et lectrices le plaisir de les découvrir.
Cela dit, le roman ne fait jamais mention de « mondes parallèles ». Cette hypothèse est évoquée de manière détournée et elle est parfois contredite. Mais si l’on en croit les théories actuelles (notamment en physique quantique), la possibilité qu’il existe une infinité de « mondes parallèles » demeure probable. N’étant ni physicien ni philosophe, je ne saurais trancher sur cette question, pas davantage que sur la fatalité ou le libre-arbitre. Simplement, je joue avec l’idée !
Échos littéraires : Le narrateur explique que « lorsqu’on n’a plus aucune attente, les catastrophes les plus prévisibles et les déconvenues les plus humiliantes, ne sauraient nous décevoir ». Est-ce dans cette logique que s’engouffre notre personnage ?
Serge Lamothe: L’extrait que vous citez est particulièrement déroutant, j’en conviens. Il y a quelques passages de cette nature dans Mektoub. Dans ce cas précis, on peut parler de licence poétique. Il s’agit d’inciter le lecteur à relire la phrase pour s’assurer qu’il l’a bien comprise. Il se rend alors compte qu’elle exprime un contresens difficile à réconcilier avec la logique ordinaire. C’est le genre de phrase qui déstabilise le lecteur, le tire de sa zone de confort et l’oblige à se questionner sur les implications de ce qu’il vient de lire. Au final, je crois que la littérature sert à cela : exprimer l’indicible, faire taire une logique autoritaire et lui substituer un questionnement ouvert, une vision inédite ou inexplorée du réel. La littérature devrait toujours nous permettre de réfléchir en dehors du cadre utilitariste et fonctionnel du langage. Elle devrait toujours nous propulser sur des orbites plus larges, vers de nouveaux horizons.
Échos littéraires : Échos littéraires aimerait bien sûr vous demander si vous avez un projet en cours et peut-on avoir un aperçu ?
Serge Lamothe: Oui, je prépare un recueil de poèmes qui doit paraître dans les prochaines semaines aux Éditions Mains libres, à Montréal. Il s’agit d’une jeune maison d’édition fondée et animée par des passionnés de littérature dont j’apprécie tout autant la compétence que l’audace ! J’ai très hâte de présenter ce nouveau recueil intitulé Quand tu pars. Il y a d’autres projets en cours, bien sûr, notamment au théâtre et à l’opéra, mais il serait prématuré d’en parler !
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